Marcel Junod

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Témoin d'Hiroshima

L'odyssée d'un délégué du CICR Dr Marcel JUNOD
© copyright Benoît Junod 2003-2011 et Archives CICR pour partie des illustrations.

Jeunesse, 1904-1935

Marcel Junod naît le 14 mai 1904 à Neuchâtel, fils de Richard Samuel Junod (1868-1919), originaire de Lignières (NE), d'une famille de pasteurs [1] , et Jeanne Marguerite Bonnet (1866-1952), originaire de Genève, de la famille Bonnet de Thônex dont est issu le grand naturaliste Charles Bonnet [2].

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Pasteur R. S. Junod, son épouse et leurs sept enfants

Son père a commencé ses tâches pastorales en prêchant dans des villages de mineurs en Belgique, dépêché par l'Eglise indépendante neuchâteloise.  Il est chargé ensuite de paroisses pauvres, rurales et citadines, à Chézard-St-Martin, près de Neuchâtel, et à la Chaux-de-Fonds.  Marcel Junod y passe ses années de jeunesse et scolaires avec ses six frères et soeurs [3] - il est le cinquième enfant.  Leur vie est frugale: à 14 ans, il passe ses vacances à travailler dans une fabrique de briques.

A la mort de son mari en 1919, Mme Junod décide de rentrer à Genève avec ses enfants.  Son fils Marcel ainsi que ses deux soeurs cadettes récupèrent le droit de bourgeoisie de Genève de leur mère, profitant d'une loi qui n'existe plus aujourd'hui.  Ils se fixent à Florissant, où Mme Junod ouvre une pension de famille pour pouvoir faire vivre ses enfants, avec l'aide de sa soeur Marie-Antoinette Bonnet et d'un petit pécule de famille (les Bonnet étaient maîtres monteurs de boîtes de père en fils et avaient été, au début de siècle, propriétaires de la fabrique de montres Juvéna).

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Etudiant à Genève

Marcel entre au Collège Calvin et se fait remarquer par son intelligence et sa vivacité.  Il a un esprit original et un grand don de communication: il apprivoise un lézard qu'il nomme Chilpéric et qui vient lorsqu'il l'appelle.  Très concerné par la misère humaine, il participe aux "Journées de la Faim" et en 1922, il est l'un des directeurs du Mouvement de Secours aux Enfants russes.  En 1923, il obtient sa Maturité latine et langues vivantes (anglais, allemand, italien).  Il veut absolument faire des études de médecine; il a gardé précieusement le manuscrit de classe de biologie de son père, méticuleusement écrit et illustré, qui date de 1883 alors qu'il avait quinze ans.

Grâce à l'aide généreuse de son oncle, Henri-Alexandre Junod [4] , ses voeux se réalisent: ayant terminé ses études à Genève et à Strasbourg, il obtient son diplôme de médecin en 1929, sa thèse étant sur "Le Psoriasis en Médecine des accidents [5] ".

Il décide de se spécialiser en chirurgie et devient assistant interne dans le service de chirurgie de l'Hôpital Cantonal de Genève (aujourd'hui HUG) sous la direction du Prof. E. Kummer, puis passe quatre ans (1931-1935) dans le service médico-chirurgical des hôpitaux civils de Mulhouse, comme assistant interne et, la dernière année, obtint son diplôme de chirurgien en tant Chef de clinique du Service de chirurgie, qui comptait 270 lits.

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Interne aux hôpitaux civils de Mulhouse

Sportif infatigable, il partage ses loisirs entre le ski, les descentes du Rhône de Genève à Marseille en bateau à rames, la Méditerranée, le golf et le cheval.  Ses neveux Bernard Junod et Peter Ceresole se souviennent de ses conseils de faire du sport et développer des muscles. Pour Peter Ceresole, qui avait environ 11 ans à l'époque, il faisait rouler ses mécaniques en criant : "Voici l'homme fort du village!", grognements appropriés y compris... 

Il est passionné de musique et joue avec talent de presque n'importe quel instrument; par la suite, il se fixera sur le piano, que lui enseignera sa cousine, la grande pianiste Jacqueline Blancard.


Les Grands Conflits, 1935-1945

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Arrivée de Marcel Junod et Sidney Brown en gare de Addis Abeba

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Charles Winckel, SM Haile Selassie & Marcel Junod, début février 1936 dans le camp de la Croix-Rouge hollandaise près de Dessie, QG du Negus


1935.  L'Italie envahit l'Ethiopie.  Le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) cherche un jeune médecin pour l'envoyer comme délégué sur le terrain.  Un ami à Genève l'informe, et quelques semaines plus tard Marcel Junod part en Afrique où il arrive à Addis Abeba avec Sidney Brown.

Son livre,  "Le Troisième Combattant" (paru en 1947, traduit en une dizaine de langues) est encore aujourd'hui le livre de chevet de tout jeune délégué du CICR.  Il raconte avec talent et éloquence le périple qui l'a mené, en tant que délégué, d'abord en Ethiopie, où il chercha à organiser la Croix-Rouge éthiopienne, embryonnaire, et à s'occuper des ambulances nationales et étrangères. Le CICR avait fait une offre de services aux deux parties, mais l'Italie avait refusé. Il fut témoin des bombardements par l'aviation italienne des ambulances des Croix-Rouges britannique, suédoise et autres, qui tentaient de secourir les victimes civiles et militaires, et - en date du 18 mars 1936 - de l'utilisation de gaz toxiques, l'ypérite, en violation flagrante du Protocole de Genève de 1925. La SDN demande du CICR des preuves, en particulier le rapport Junod, mais l'institution refuse en indiquant qu'elle est en contact avec les belligérants à ce sujet. Il a risqué sa vie à plusieurs reprises.

Un rapport sur l'activité de l'ambulance britannique [6] , dirigée par John Melly, se réfère à Junod de la manière suivante (suit le texte anglais, qui est intraduisible en français!):

"At Addis Abeba John Melly found a consensus of opinion that we should go north.  In the first place, it was the Emperor's wish. In the second place, it would relieve the political tension.  In the third place, Brown, of the International Red Cross from Geneva, aided by the voluble, forceful and lovable Junod (also from Geneva), would have it so.

'What about the roads?'
'The Grande Route Impériale au Nord is being constructed.'
'How far can we go?'
'You can get to Dessié.'
'And from Dessié?'
' We will make for fly, we will make for mule, we will make for, how you say, les ânes, we will make for anything, mon vieux. Melly - Mellee - listen to me...'

Dear old Junod.

That man spoke several languages. Were there not Red Cross units from seven countries?  But English he could not speak.  'I cannot speak eet, but what can I do. I have always before my eyes the woundeds.  The woundeds, mon Dieu, how they suffer.  They have no any medicaments, they have no any water, they have no any foods. We must give them nourriture, we must give them medicaments.'

And when he spoke like that, sweat poured from his honest face, and true sorrow was in his eyes.

'Stefen, I beg you, think of the woundeds. You have, how you say, the way; make the apologise and go to the North.'

And so the unit was ordered to entrain for Addis Abeba..." [7]

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Dans son bureau à Barcelone avec le Dr. Roland Marti

Le conflit italo-éthiopien terminé, il est pris immédiatement comme délégué général du CICR dans le tourbillion fratricide de la guerre civile espagnole.  A ce titre, il établit avec les deux parties les bases de l'action du CICR et obtient la conclusion d'accords'.  Il négocie les premiers échanges d'otages au pays basque.  Il devient ensuite chef de délégation en Espagne républicaine, avec pour adjoint le Dr Roland Marti (1909-1978), à Valence puis à Barcelone.  Il joue un rôle décisif dans l'établissement du système de circulation des messages familiaux (5 mio. au total).  Il obtient la libération de 5 000 détenus à Barcelone, dont la vie était menacée lors des combats qui ont précédé la chute de cette ville.

Le livre de Pierre Marqués, "La Croix-Rouge pendant la Guerre d'Espagne", 1936-1939, Les Missionnaires de l'Humanitaire  (L'Harmattan ed. 2000) donne une analyse approfondie de ce conflit.  L'auteur écrit: "Apparaît un modèle d'homme d'action dont le prototype était le docteur Junod, que son expérience désignait comme délégué général. Lors de son arrivée, on est frappé par la soudaineté et la rapidité avec lesquelles la décision est emportée, les documents acceptés et paraphés.  Des réponses peuvent être avancées, un talent exceptionnel de négociateur justifiant a posteriori la confiance du CICR. ... Débattre de la mission et de l'habileté du délégué général dans les pourparlers, essentiellement en zone nationaliste, ne doit pas occulter l'influence qu'il a eu sur le plan de la doctrine et de la philosophie (du CICR)" (op. cit. pp. 378/379).

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Sur la route de Valence...

Léopold Boissier [8] écrira: "Dans un tel conflit, les Conventions de Genève, alors en vigueur, ne donnaient pas aux délégués du Comité International les moyens d'accomplir pleinement leur mission d'intermédiaire neutre entre les deux adversaires.  N'importe... Marcel Junod, tout brûlant de foi, fit plus que son devoir.  Par ses interventions incessantes dans les deux camps, par son appel à ce qui restait d'humain dans une lutte jusque là sans merci, il réussit à sauver des milliers de vies. Grâce à lui, des condamnés fûrent épargnés, des otages, voués à la mort, sauvés et échangés [9]." 

Parmi ces prisonniers, entre bien d'autres, Arthur Koestler [10].  C'est sur la base de ce que Marcel Junod a pu obtenir des deux parties que des normes de protection dans le cadre de conflits civils ont par la suite pu être élaborés.

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Visite de prisonniers de guerre en Allemagne

Lorsque la Guerre Mondiale se déclenche en 1939, Marcel Junod est d'abord incorporé comme Lieutenant-médecin aux services de santé de l'Armée suisse, mais quelques jours plus tard, le CICR intervient et l'envoie d'abord en Allemagne, où le 27 septembre 1939 il visite le premier camp de prisonniers de guerre polonais. 

Ensuite, depuis Berlin, il rayonne afin de visiter les camps de prisonniers de guerre et internés civils alliés constitués en Allemagne, puis en Belgique et en France, où il visite des prisonniers de guerre allemands. 

En juin 1940, il se rend en France puis en Allemagne pour éviter les représailles dont Berlin menaçait, alléguant que les parachutistes allemands étaient fusillés.  Claude Pilloud, collègue au CICR et ami de Marcel Junod, raconte cet épisode: "En 1940, jeune encore dans la Croix-Rouge, j'ai eu le privilège de faire une mission sous sa direction. ... Le 17 juin 1940, alors que la radio venait d'annoncer la demande d'armistice du gouvernement français, nous quittons Genève dans l'après-midi en voiture pour tenter de gagner Bordeaux et d'obtenir l'autorisation de visiter les quelques centaines de prisonniers de guerre allemands dont le traitement allait déterminer celui de centaines de milliers de prisonniers de guerre français.  Dans une atmosphère de débâcle, nous nous frayons péniblement un passage à travers les masses de réfugiés qui encombrent les routes.  Mais Junod ne se laisse pas décourager; il conduit toute la nuit et refuse de prendre du repos: il faut faire vite et intervenir avant que les troupes allemandes ne libèrent les prisonniers.  Finalement, après deux jours de route, nous arrivons à Bordeaux; Junod trouve les responsables, les convainc et le lendemain déjà, nous visitions le camp des officiers allemands et nous pouvions communiquer des nouvelles rassurantes à Genève, puis immédiatement après, nous visitons d'autres camps et rentrons sans désemparer, fourbus, à Genève.  Mais lui ne s'arrête pas et repart aussitôt pour Berlin où il va plaider la cause des prisonniers de guerre français".(Journal de Genève, 18.06.61.)

Peu après, Junod institue l'échange de renseignements entre prisonniers de guerre français et leurs familles, souvent déplacées, par le clearing de l'Agence des prisonniers de guerre.  Il obtient de Berlin que tous les prisonniers soient autorisés à adresser à l'Agence une seconde "carte d'avis de capture". 

En 1940, il se rend à Londres avec Mlle Lucie Odier [11] , au moment du blocus aérien et des bombardements, pour organiser le transport par mer des secours pour les prisonniers de guerre en Allemagne.  Il se rend en Suède, où il met sur pied avec la Croix-Rouge suédoise une gigantesque action de secours pour la population grecque affamée. 

Septembre 1941, il se rend en Turquie pour établir un relais de l'Agence affecté au conflit de l'Est européen; de là - il retourne à Ankara deux fois - il s'occupe de favoriser l'envoi, par bateaux, de secours alimentaires en Grèce.  Il se rend en mission à Athènes pour organiser l'hospitalisation d'enfants grecs en Egypte, puis en Crète, où il visite des camps de prisonniers de guerre au mains des Italiens. 

Lors de sa troisième mission en Turquie, il est mandaté par le CICR de chercher à résoudre le problème des prisonniers soviétiques en Allemagne, et des allemands en Union Soviétique [12] .  Il retourne ensuite à Berlin et à Stockholm pour amplifier l'action de secours en Grèce.  Puis il rejoint son poste à Berlin, luttant constamment pour le respect des règles du droit humanitaire et pour leur élargissement.

Epuisé par quatre années sans le moindre répit, il se détache du CICR et vit à Genève de 1943 à 1944, en tant que médecin-expert pour le district de la Société Nationale Suisse d'assurance contre les accidents et maladies professionnelles.

Au moment de son départ, Max Huber lui écrit :

Bien que connaissant votre détermination et en approuvant pleinement les motifs, nous ressentons, maintenant que s'approche l'heure de la séparation, ce que votre départ nous fait perdre.

Car vous avez été, cher docteur, pendant ces sept ans et demi, l'un des plus fidèles et plus dévoués serviteurs de notre oeuvre. Toujours sur la brèche, toujours prêt à partir, du jour au lendemain, pour des pays lointains, dans des conditions souvent difficiles et parfois périlleuses, vous ne nous avez jamais refusé votre concours.

En Afrique, en Espagne, puis au cours de la seconde guerre mondiale dans divers pays d'Europe, vous avez accompli avec succès de nombreuses missions importantes et délicates.

Vos qualités d'homme d'action, votre énergie vous ont fait surmonter maints obstacles et vous ont permis de rendre à la Croix-Rouge d'éminents services".[13]

Huber ajoute, après des voeux de succès, " Le fait que vous vouliez bien, si nous recourons à vous ces prochains mois et plus tard, continuer à nous fournir une certaine collaboration, dans la mesure où vos obligations professionnelles vous le permettront, nous est très agréable. Nous sommes heureux de pouvoir encore compter sur votre dévouement et je vous en remercie ". Quelques mois plus tard, Max Huber fait appel à Junod... qui retourne au CICR, où il travaille une année au quartier-général à Genève. En décembre 1944, il épouse Eugénie Georgette Perret (1915-1970), qui travaillait à l'Agence des prisonniers de guerre dans le service britannique. 

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Au siège du CICR, avec Max Huber et Pilet-Golaz (Min. Suisse des Aff. Etr.)

En juin 1945, Marcel Junod doit laisser sa femme -­ enceinte -­ en Suisse, car à nouveau le CICR l'envoie en mission, au Japon, pour remplacer le Dr Paravicini, décédé plus qu'un an auparavant.  Il part en Extrême-Orient par le trans-sibérien, et il réussit à obtenir des japonais qu'il puisse visiter, en Mandchourie, les Généraux Wainwright et Percival, ainsi que les autres prisonniers américains aux mains des Japonais.

Hiroshima, 1945

Le 9 août 1945, il arrive de Mandchourie à Tokyo, avec sa collaboratrice Marguerite Straehler.  Celle-ci ayant vécu une grande partie de sa jeunesse à Yokohama, où son père était établi comme homme d'affaires, Mlle Marguerite Straehler (1898-1961) a joué un rôle-clef dans la logistique de la délégation du CICR dès son arrivée à Tokyo, car elle avait une grande expérience technique du travail en faveur des prisonniers de guerre, ayant été dès 1939 à l'Agence centrale des prisonniers de guerre du CICR et dirigé le Service des PG américains en mains japonaises.  Elle parlait couramment le japonais.

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Au moment de leur arrivée, la délégation du CICR à Tokyo était sans chef depuis deux ans, et était inopérante.  Alerté par les rumeurs que deux bombes nucléaires ont explosé au Japon et qu'un drame humanitaire se déroule à Hiroshima, il n'obtient pas d'informations précises: le Haut Commandement allié a fait un black-out sur l'évènement et interdit la zone aux étrangers [14].  Aussi, il est débordé par les recensements et secours d'urgence aux prisonniers de guerre alliés - un travail prioritaire de protection dans le brouhaha de la capitulation. Le 29 août l'Evening Standard à Londres titrait : "Japs give us full list of prisoners " et sous-titrait : " Les noms des prisonniers de guerre et des internés de la région de Tokyo sont maintenant dans les mains des Alliés: la liste complète a été donnée aujourd'hui par le Dr Marcel Junod, le délégué suisse de la Croix-Rouge internationale à Tokyo ".

Le même jour, Marcel Junod envoie un homme d'affaires suisse résidant au Japon à Hiroshima, accompagné d'un attaché de la Légation suisse (Markus Weidenmann, 1910-??) et d'un interprète japonais, en lui demandant de faire rapport, et obtient les autorisations nécessaires.  Le jour suivant, 30 août il reçoit un câble lui décrivant l'étendue de la catastrophe:

"6 SUZUKI POUR JUNOD STOP J'AI VISITE HIROSHIMA LE TRENTE CONDITIONS EPOUVANTABLES STOP VILLE OBLITEREE QUATRE-VINGT POURCENT TOUS HOPITAUX DETRUITS OU SERIEUSEMENT ENDOMMAGES INSPECTE DEUX HOPITAUX D'URGENCE CONDITIONS INDESCRIPTIBLES STOP EFFET BOMBE MYSTERIEUSEMENT SERIEUX STOP NOMBREUSES VICTIMES APPAREMMENT EN VOIE GUERISON ONT RECHUTE FATALE DUE A DECOMPOSITION CELLULES BLANCHES ET AUTRES LESIONS INTERNES A PRESENT MEURENT EN GRANDS NOMBRES STOP ESTIMATION EST QUE PLUS CENTMILLE BLESSES ENCORE DANS HOPITAUX D'URGENCE ENVIRONS MANQUANT CRUELLEMENT PANSEMENTS MEDICAMENTS STOP VEUILLEZ PRIER ALLIED HIGH COMMAND DENVISAGER ACTIONSECOURS IMMEDIATE LARGUAGE SUR CENTREVILLE STOP BESOIN QUANTITES SUBSTANTIELLES PANSEMENTS GAZE CHIRURGICALE POMMADES POUR BRULURES SULFAMIDES AUSSI PLASMASANGUIN ET EQUIPEMENT TRANSFUSION STOP ACTION IMMEDIATE HAUTEMENT DESIRABLE AUSSI VENUE COMMISSION MEDICALE DENQUETE STOP..." [15]

Le même jeudi 30 août, Junod reçoit du Gaimusho, le Ministère des Affaires Etrangères du Japon, une série de photos d'Hiroshima et Nagasaki. Ce sont celles, auxquelles s'ajouteront d'autres qu'il recevra à Hiroshima du Dr Matsunaga, qu'il rapportera à Genève en 1946.

Le samedi 1er septembre, au New Grand Hôtel à Yokohama, il voit les Généraux Wainwright et Percival, le Général Fitch, le Colonel Marcus, le Général Farrell et le Col. Oughterman.  Il soulève certainement la question de secours pour Hiroshima et probablement aussi pour Nagasaki, mais doit attendre le mardi 4 septembre, pour pouvoir faire une démarche formelle au High Command auprès du Général Fitch et du Chirurgien-Chef Colonel B. P. Webster.  Il leur demande instamment de lancer une opération de secours.  Fort du service qu'il a rendu aux Américains avec Wainwright en Mandchourie, il obtient que la question soit soumise d'urgence au Général Mac Arthur qui, trois jours plus tard, l'autorise à se rendre à Hiroshima avec une commission militaire américaine d'enquête médicale, deux médecins japonais, et douze [16] tonnes de médicaments et matériel sanitaire.  Il s'envole le 8 septembre:

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"Une heure après le départ nous longions la côte est du Fujiyama, non loin de son imposant cratère, et survolions ensuite les grandes villes du Japon, Nagoya, Osaka, Kobe qui m'apparaissaient comme d'immenses taches de rouille avec par-ci par-là de rares quartiers intacts ayant échappé à l'incendie habituel.  Mais ce spectacle, quoique impressionnant, n'est pas à comparer avec la vision fantastique du désert d'Hiroshima. 

Du haut du ciel, cette cite de 400 000 âmes, la ville aux sept rivières, bâtie sur le delta de l'Okatawa, apparaît comme balayée par une force surnaturelle.  Le centre n'est plus qu'une vaste tache blanche entourée d'une ceinture brune, trace de l'incendie qui a suivi l'atomisation.  Au lointain, près du port, quelques rares édifices apparaissent intacts, abrités qu'ils étaient par une petite colline. 

Après le survol de la ville, les avions descendent rapidement et nous atterrissons 10 minutes après sur l'aérodrome d'Iwakuni, ancienne base navale japonaise.  Les médicaments sont déchargés et le Général Farrell, Chef de la mission, m'en confie le soin. 

Il n'y a pas d'inventaire, mais la quantité en poids est estimée à 15 tonnes.  Je les confie à un officier de marine japonais et me rends le même soir au quartier militaire japonais où les officiers organisent la visite de la ville pour le lendemain.  Le dimanche 9 septembre, nous visitons la cité dévastée et entendons le récit de divers témoins..." [17]

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Marcel Junod reste cinq jours à Hiroshima, pour visiter tous les hôpitaux, s'assurer d'une répartition optimale du matériel médical, voir ce qui manquait et obtenir d'autres apports, et participe lui-même directement aux secours en tant que médecin [18] . Comme l'infrastructure à Hiroshima est complètement détruite, il loge sur la belle île de Miyajima, épargnée par la bombe. Deux jours après son retour à Tokyo, le typhon Makurazaki a tué encore 2000 personnes dans la Préfecture d'Hiroshima et 3800 personnes dans la région...

Marcel Junod a gardé des agendas annuels (journaux) dans lesquels il notait avec précision ses activités professionnelles.  La chronologie des événements de cette période est confirmée comme suit:

Mardi 4.9: "vois mon journal... tellement à faire, pas le temps d'écrire.  Démarche auprès Général Fitch pour Hiroshima.  Grosse arrivée de troupes - bulldozer an action.

Mercredi 5.9: Alexis Johnson, Consul.

Jeudi 6.9: Col. Sams me remet la copie d'un memo adressé au Gouv.(erneur) Jap.(onais) Envoie 12 tonnes médicaments sous notre contrôle.

Vendredi 7.9: Prof.Tzusuki, Dr. Motohashi, Cap. Flick, Cap. Nolen, Gen Farrell, Gen. Newman, Morrison physicist, Col. Oughterson (?). Couché à Myashima, île du sanctuaire.

Samedi 8.9: Départ pour Hiroshima à 9 1/2. Arrivée Gen. à Tokyo. Arrivée sur Hiroshima à 12h. Scène du G. Moi. (?) assez juste. Arrivée IWAKUNI airfield. Médicaments déposés. Couché Myashima.

Dimanche 9.9: Visite Hiroshima. Hôpitaux, voir notes personnelles. Bombe Hiroshima, la vaste cité, tombée à 8h15, 6 août.  A la gare, l'horloge chiffres arrêtés marque exactement le temps.

Lundi 10.9: Reçu par Gov. Hiroshima Gensho Takano, Dr. Kitajima, Min. of Public health. Le gouverneur a perdu sa femme. Il a l'air comme assommé par toute cette affaire et a prob. refusé de recevoir les gentlemen am. Mon journaliste a perdu son frère et sa soeur.

Mardi 11.9: Dr MASARU MATSUNAGA. Visite du sanctuaire de l'île de Miyashima. Visite hôpitaux et medecis Hiroshima, rentré Miyashima.

Mercredi 12.9:Ce matin vu les cas complexes Hiroshimite - en fait un syndrome. Le Japon possédait d'avantage le secret que la puissance. Dr. Nakad, Imp. University. ONOMICHI

Jeudi.13.9: Evacuation des camps Tamano, Zentzuji, Mihama, ?Balian, camion, red cross car - Tout en ordre. Beau travail. à UNO.

Vendredi 14.9: Départ Onomichi. Arrivée Osaka en wagon spécial. Vu le soir Johnson et lui arrange distribution S.C. Chinois et Grecs par Brunner (?)

Samedi 15.9: Retour Tokyo 18.30

Cette action humanitaire lui vaut d'être aujourd'hui le seul étranger qui a un monument à sa mémoire dans le Parc de la Paix d'Hiroshima. Les quelques 60 photos qu'il a rapporté au CICR sont parmi les premières images du drame à arriver en Europe.  En 1982 le CICR publiera un texte de Marcel Junod sur cette période dans la Revue de la Croix-Rouge intitulé Le Désastre d'Hiroshima [19].

L’après-guerre, 1946-1952

Marcel Junod est resté encore plusieurs mois au Japon, jusqu'en avril 1946, pour poursuivre sa tâche de chef de délégation du CICR avant de rentrer en Suisse, s'occupant de l'évacuation des prisonniers.  Son fils est né le 26 octobre 1945, alors que son père était encore en Extrême-Orient [20].

En 1946, la Légation des Etats-Unis à Berne prend contact avec le Département des Affaires Etrangères pour les informer que Washington veut attribuer la Medal of Liberty à Marcel Junod. La note précise la citation :

Pour sa conduite exceptionellement méritoire dans l'accomplissement de services extraordinaires comme citoyen suisse au service de la Croix-Rouge internationale, en relation avec la localisation et l'évacuation des prisonniers de guerre alliés après la capitulation du Japon en août 1945.

Débarquant sur les côtes du Japon le 9 août, le Dr. Junod s'est mis promptement en contact avec des collaborateurs qui étaient au courant de l'emplacement des camps d'internement et prisons dans tout l'Empire japonais et, à l'arrivée de la Troisième Flotte nle 28 août a donné des informations précises et détaillées qui ont permis à nos avions de lancer de la nourriture et des vêtements aux internés en attendant leur libération. En outre, il a accompagné des fonctionnaires dans le premier bateau pour libérer les prisonniers de guerre au camp d'Omori, il a assisté comme guide et interprête dans les premiers travaux de libération et a rendu toute assistance possible dans la libération d'autres prisonniers de guerre dans des endroits très dispersés. Par ses facultés administratives, sa détermination aggressive, et ses efforts conscientieux en faveur de nos compatriotes, le Docteur Junod a servi comme une inspiration à tout et a contribué beaucoup à la libération prompte des prisonniers de guerre alliés des prisons japonaises".

Les autorités suisses répondent immédiatement que comme Junod est astreint au service militaire - il a 42 ans - il lui est interdit par la Constitution fédérale d'accepter une décoration d'un gouvernement étranger.  Washington n'insiste pas et abandonne son projet. Junod n'a jamais eu connaissance de cette tentative de lui rendre hommage [21].

En été 1946, comme tous les délégués n'ayant plus de travail, la guerre étant finie, il quitte le CICR et reprend sa profession de médecin, pour peaufiner sa spécialisation chirurgicale.  De septembre 1946 à juillet 1947, il fait un stage à l'hôpital Laennec à Paris dans le service de tuberculose et chirurgie thoracique du Professeur Robert Monod.  Pour réduire ses dépenses au maximum - il n'est pas du genre à avoir fait des économies - sa femme et son fils restent en Suisse et il loge à Paris chez sa soeur Mado et son mari, le Dr Maurice Cord.  A travers ce dernier - homme de grande culture, avec de nombreux contacts dans le milieu des arts - Junod se lie d'amitié avec le peintre russe Pavel Tchelitchev, l'écrivain Cilette Ofaire, Colette et d'autres.

C'est pendant cette période qu'il écrit Le Troisième Combattant, tapant le manuscrit lui-même à la machine, car il n'a pas de secrétaire.  Max Huber [22] accepte d'écrire la préface, et le livre est publié par Payot en français et par Europa-Verlag en allemand, suivi très vite d'une édition en suédois et plus tard d'éditions anglaise et américaine (1951). Par la suite des éditions en japonais et en   hollandais ont été publiées, ainsi qu'en serbo-croate (1994).  L'édition en espagnol a été publiée après la mort de Franco.  Aujourd'hui c'est le CICR qui gère le stock du livre, qui reste disponible en anglais/français/espagnol. La parution du Troisième Combattant a été largement commentée par la presse suisse et internationale et la première édition en français a été épuisée en trois mois.

A la fin de son stage, Marcel Junod obtient une bourse de la Swiss-American Foundation pour pousser plus loin ses études de chirurgie thoracique à New York et part avec sa famille pour les USA en Octobre 1947. Il passera tout son temps libre avec eux à Valley Cottage, au nord de New York, où vivent ses cousins Maurice Heaton (1900-1990), artiste et artisan verrier, et sa femme la poète et photographe Berenice van Slyke (1894-1979). Mais juste après son arrivée, il voit Maurice Pate [23] , qu'il connaissait de Genève, à Lake Success près de New York où l'UNICEF vient d'être créé.  Ce dernier le convainc de renoncer à sa bourse et d'entrer à l'UNICEF comme Officier de liaison. 

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Le 19 décembre 1947, Junod est nommé Chef de mission de l'Institution mondiale pour les enfants en Chine, et il part fin janvier 1948 pour Nankin, où sa famille le rejoint, par bateau via les Philippines.  Il se déplace à Beijing (Pékin), puis Shanghai, cherchant à accomplir sa mission dans le contexte politique complexe de la révolution chinoise [24]

Il était de notoriété publique que l'UNRRA, la principale organisation de l'ONU active en 1946-47 en Chine pour les secours, avait dilapidé son budget de deux ans - soit plus de 500 millions de dollars US - à cause de la guerre civile, la désorganisation de l'après-guerre 1945, l'administration chinoise, l'inflation, la corruption, etc.. Junod disposait d'un budget de 12 millions de dollars US... pour secourir 67 millions d'enfants, chiffre qui croissait de 16 millions chaque année, moins quatre à cinq millions de nouveaux-nés qui mouraient de tétanos a la naissance par manque d'hygiène.  L'aide a été essentiellement utilisée à soutenir les actions des organisations caritatives les mieux implantées et en quelques mois des centres UNICEF d'alimentation pour enfants étaient ouverts dans une douzaine de grandes villes de Chine.  Mais la situation était désespérée: un médecin pour 30 000 habitants, dont aucun hors des villes; 15 000 lits d'hôpital pour 450 millions d'habitants, soit moins que dans la ville de Londres à l'époque. 

Marcel Junod voulut monter une campagne de vaccination d'enfants contre la tuberculose, qui faisait des ravages... mais il avait cinq équipes de médecins capables et autant d'infirmières. Il ne voyait que des cas de dilapidation de ressources [25] .  En outre, bien qu'ayant obtenu la possibilité d'ouvrir une North China Mission où travaillaient deux médecins expérimentés, le Dr Leo Eloesser et le Dr Perry Hanson, il était frustré de ne pouvoir faire que peu de choses en faveur des enfants en territoire communiste.

Dans une lettre à Maurice Pate de l'été 1948, citée par Hanson (op.cit.), Marcel Junod écrivait:"Cette mission est la plus difficile que j'aie jamais eu à mener parce que son succès ne dépend pas de vous ni de moi-même, ni même du Gouvernement ou des agences de volontaires, mais des circonstances invraisemblables dans lesquelles ce pays se trouve aujourd'hui."  Pourtant, Hanson relève op. cit., p. 25,: "Avant le milieu de l'année, donc moins de quatre mois après son arrivée, Marcel Junod avait établi des relations formelles et de travail avec le Gouvernement, il avait établi un bureau de l'UNICEF dans la capitale ainsi que des bureaux locaux dans plusieurs autres villes, avec du personnel en place ou entrain d'être recruté, et les bases étaient posées pour le travail de l'UNICEF en Chine du Nord.".  Leo Eloesser, un médecin que Junod avait fait venir de l'OMS pour l'aider dans sa tâche, écrivait à Pate le 16 Juin 1948 que "le Docteur Junod s'est occupé de la situation avec une habileté et sagacité extraordinaires..."

Mandaté par le Comité exécutif de l'UNICEF, Marcel Junod a aussi effectué une mission de quatre jours en août 1948 en Corée pour effectuer une analyse-éclair de la situation.  Son rapport [26] de mission a été repris quelques années plus tard comme base de l'action de l'UNICEF en Corée du Sud.

Le 22 janvier 1949, Marcel Junod, dont la santé est chancelante, se rend à New York pour la réunion du Conseil exécutif de l'UNICEF.  Son état s'aggrave brusquement et les médecins diagnostiquent une forte calcification artérielle de la jambe gauche, qui rend tout déplacement difficile.  Comme le fils de Marcel Junod, âgé de trois ans et demi, est atteint d'une grave amibiase, Pate fait rentrer la famille à New York [27].  La mission se terminera, de toute façon, en mai 1949.  Junod ramène de Chine plus de 80% de son budget à Maurice Pate, non dépensé, et dira qu'il lui aurait fallu dix ans et un budget mille fois supérieur pour pouvoir accomplir quelque chose de vraiment utile.

Marcel Junod travaille encore deux mois à l'UNICEF et son fils est soigné à la Mayo Clinic.  Mais en avril, il n'arrive pratiquement plus à marcher et rentre d'urgence en Europe, car tous les examens médicaux à New York restent inconclusifs.  A Genève, c'est son ami le radiologue Pierre Bardet qui enfin diagnostique un énorme kyste de cholestérol dans la région fémorale, doublé d'une calcification de l'iliaque.  Le 12 mai 1949, à Londres, Junod est opéré par Sir Horace Evans.  Sa convalescence est lente et il doit renoncer à un haut poste à l'OMS.  Il comprend qu'il ne s'en remettra jamais entièrement et que cela le privera d'exercer son métier de chirurgien, ne pouvant plus rester debout pendant de longs moments pour opérer.  Il réfléchit et trouve une discipline médicale qu'il pourrait exercer assis: l'anesthésie, qui en était à ses débuts en Europe continentale.

Malgré son état de santé, il se rend à Paris en Octobre 1949 et fait des stages dans cette discipline aux hôpitaux Cochin et Brousset.  Il obtient son diplôme d'anesthésiste de la Faculté de médecine de Paris, mais en février 1950, il doit subir une deuxième opération de sa jambe, aux mains de Leriche à Paris.

Sachant que les Anglo-Saxons - et en particulier les Anglais - ont une grande longueur d'avance dans le domaine de l'anesthésie, en particulier sur la France, il renonce, en mai 1950, à une bourse d'études aux Etats-Unis et choisit d'aller à Londres, où il habite chez sa soeur Milou et son mari Victor Ceresole, où sa femme et son fils le rejoignent.

Son neveu Peter Ceresole se souvient bien du séjour de son oncle: "Dans sa chambre au premier étage, il avait un tableau noir sur lequel il faisait des dessins anatomiques en craies de couleur.  Encore maintenant, je ne peux pas voir un dessin anatomique sans penser à ceux qu'il esquissait, et au tableau noir dans cette chambre.  Il marchait chaque jour pour rendre sa jambe plus forte. Nous habitions à Addison Crescent et la rue était un côté d'un triangle.  Il partait depuis notre porte d'entrée et allait à gauche, marchant aussi loin qu'il le pouvait, puis revenait.  Au début, il n'allait que jusqu'au coin avec Addison Road.  Puis il disparaissait autour du coin pour des excursions de plus en plus longues, mais revenant toujours depuis la gauche.  Puis un jour, il est apparu depuis la droite; il avait fait le tour complet du triangle.  Il était visiblement ravi. Je me souviens que nous avons fêté l'événement."

Au Middlesex Hospital, Marcel Junod étudie avec les Profs Bernard Johnson et A.J.H.Hewer [28] , dont il devient le " Clinical Assistant " d'août à novembre 1951, date à laquelle il obtient son diplôme de F.F.A.R.C.S. [29]

Retour a Genève, 1952-1961

Ayant eu le grand honneur de se voir attribuer en 1950 la Grande médaille d'or pour la paix du Prince Carl de Suède pour son action humanitaire [30] , Marcel Junod rentre à Genève en 1951.

Le retour de Londres se fait en Fiat Topolino avec son neveu Peter Ceresole, qui se souvient qu'ils "ramenaient un équipement d'anesthésie tout neuf, en inox, une sorte d'aggloméré de tubes de gaz et de robinets mélangeurs sur des roulettes, qui dépassait du toit décapotable de la voiture.  Heureusement, le temps était superbe.  A cette époque de contrôle des changes et de tarifs douaniers, il avait un carnet pour son équipement.  Il y avait aussi des ampoules de curare - ce produit faisant partie des recherches en nouvelles applications de contrôle anesthétique total - qui ont causé un intérêt et une excitation sans bornes auprès des douaniers.  Je crois que nous sommes arrivés via St-Julien. Je me souviens qu'en traversant le Jura (la Topolino était assez lente sur les montées) on saluait toutes les jolies filles que nous voyons en criant et en agitant nos bras."

Marcel Junod loue une maison au bord du lac, " Le Clapotis ", sur la rampe de Vésenaz.  Il obtient son FMH, et s'installe comme anesthésiste.  En 1953, il réussit à convaincre les autorités médicales qu'il est indispensable de créer un département d'anesthésie à l'Hôpital Cantonal, et propose une structure permettant aussi la formation de jeunes anesthésistes.  Sa proposition est acceptée [31]et il dirigera ce département et exercera la médecine - sa vocation première - jusqu'à sa mort.

Junod n'a pas mené son Département sans devoir lutter pour le faire valoir.  Bien des chirurgiens, notamment français, considéraient l'anesthésie comme un travail d'infirmière ou de médecin de seconde zone.  Quand, en plus, l'anesthésiste était lui-même chirurgien, les frictions étaient inévitables - ce qui était le cas non seulement de Junod, mais aussi de son assistant au Département d'Anesthésiologie de l'hôpital, le Dr Bertrand Bronner.  Junod imposera aussi que son remplaçant, en cas de besoin, soit le Dr Pierre Koenig qui a fait ses études d'anesthésie en Angleterre à la même époque que lui, mais à Oxford avec Sir Robert Macintosh.  Ceci assurait la continuité de l'application de la méthodologie anglaise dans le Département d'Anesthésiologie.

Il participe à beaucoup de congrès médicaux, publie de nombreux textes de recherche et donne plusieurs conférences sur sa spécialité, ainsi que sur les effets médicaux de l'explosion atomique.

Quand il arrive à s'échapper en vacances, il retourne en Espagne où il a gardé des amis à Barcelone de l'époque de la guerre civile [32].

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Le 12 décembre 1960, il donne sa leçon inaugurale de privat-docent en anesthésie, à la Faculté de Médecine de l'Université de Genève sur "Le Fluothane, ses actions pharmacologiques et ses applications cliniques."  Il met en route toute l'organisation d'un premier grand Congrès d'anesthésiologie à Genève réunissant les sociétés suisse, allemande et autrichienne.  Il aura lieu du 8 au 10 septembre 1961 [33].

Le 23 octobre 1952, Le Comité International de la Croix-Rouge l'invite à devenir membre du Comité; sa connaissance du terrain et ses qualités de médecin le feront élire en 1959 Vice-Président de l'institution. 

Aussi en 1952, Marcel et Jo Junod cherchent une maison à acheter dans la campagne genevoise. C'est un ami proche, Raymond Deonna [34] , qui leur indique une vieille ferme en bas de Lullier, sur la Commune de Jussy, qui est à vendre. Début 1953, ils s'y installent. La tranquillité que Marcel Junod y connaît lui permet de faire face à la vie double qu'il mêne entre l'hôpital et le CICR.  Dans son discours aux obsèques de Marcel Junod, Léopold Boissier disait "Lorsque, après un long voyage, il vous recevait dans son jardin de Lullier, il vous invitait à regarder la plaine et murmurait:" Comme c'est beau."  Et, en effet, les fleurs paraissaient plus belles, les blés plus dorés et l'horizon, au-delà du Vuache, plus lumineux. Pour Marcel Junod, qui avait vu tant de choses terribles, Dieu avait conservé toute la beauté du monde. "

Bien qu'il ait eu de la difficulté à marcher et se déplaçait avec une canne, en 1957, Marcel Junod effectue pour le CICR une mission à Vienne et Budapest du 11 au 19 juin dans le cadre des secours après l'écrasement de l'insurrection hongroise de 1956 et se rend à New Delhi pour la Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, puis en mission au Caire. Il participe aux cérémonies du centenaire de la bataille de Solférino en 1959.

La même année Marcel Junod effectue une mission pour la Croix-Rouge au Japon dans le cadre de la polémique question du rapatriement des Coréens: quelques 600 000 Coréens vivaient encore au Japon au milieu du siècle dernier, un gros reliquat de ceux qui s'y étaient installés après l'annexion japonaise de 1910.  Economiquement faibles, une partie de ces personnes voulaient rentrer en Corée du Nord, d'autres en Corée du Sud et certains pas du tout.  Pour régler le problème, appel a été fait à une institution neutre, le CICR.  Mais une partie de l'opinion japonaise et aussi une partie des Coréens ne voulaient pas de l'intervention d'étrangers, ce qui a valu à Marcel Junod un parcours d'arrivée en voiture de l'aéroport en ville marqué de bannières "CICR go home!" et d'autres - son rôle à Hiroshima était connu - avec "Welcome Dr. Junod!' [35] ."  Le problème a été résolu avec succès en 1959/1960.

En 1960, il accompagne le Président du CICR, Léopold Boissier en Pologne et en URSS et effectue encore une longue mission - la dernière - en Extrême-Orient (Taiwan, Thailande, Hong Kong, Corée du Sud, Japon), au Canada et aux Etats-Unis, en visite aux Sociétés nationales de la Croix-Rouge.

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Le 16 juin 1961, alors qu'il sortait une patiente d'une anesthésie à l'Hôpital, il est foudroyé par une crise cardiaque.  Il est inhumé au cimetière de Jussy, selon sa volonté [36] ; le CICR reçoit plus de 3 000 messages de condoléances du monde entier.  Ayant reçu un grand nombre d'honneurs de croix-rouges nationales de son vivant, il est décoré de l'Ordre du Trésor sacré du Japon à titre posthume [37].

Le monument dans le Parc de la Paix d'Hiroshima a été érigé par souscription en 1979, à l'initiative de l'Association des Médecins d'Hiroshima, suite à la publication d'un article par le Dr. Matsunaga intitulé "Le Dr. Junod - un bienfaiteur d'Hiroshima - un épisode inconnu" dans le volume du mois d'août 1978 de la revue mensuelle japonaise "Hujin ko-ron", pp.190-197. L'article a provoqué une redécouverte de l'action de Marcel Junod et une prise de conscience du fait qu'il avait été au delà du simple devoir en mobilisant les secours pour les victimes de la bombe atomique. Au même moment, le journaliste Y. Ohsako publiait un récit biographique intitulé Valiant without arms; the Life and Personality of Dr. Marcel Junod, Tokyo 1979, 209 pp.. Depuis lors, l'anniversaire de sa mort est l'objet d'une réunion commémorative chaque année devant le monument, auxquelles les autorités locales, l'Association des Médecins d'Hiroshima, le choeur des garçons de la ville,  ainsi que les victimes encore vivantes - les hibakusya, de moins en moins nombreux -, prennent part.

Lors des obsèques de Marcel Junod, Le Président Boissier a voulu "rendre témoignage a celui qui a été le plus accompli des délégués du Comité International de la Croix-Rouge. Je dis bien le plus accompli, car dans la nombreuse phalange de ceux qui se sont dépensés ou se dépensent encore pour secourir les victimes des guerres et des troubles intérieurs, aucun n'a vécu une expérience aussi multiple, aucun n'a eu autant d'occasions de manifester ses dons d'abnégation, de courage et d'humanité ".

Postface

Cette brève notice biographique resterait peut-être trop sèche et factuelle si je n'y ajoutais quelques impressions personelles de ce père que j'ai perdu lorsque j'avais quinze ans, tout comme lui a perdu le sien au même âge.

Marcel Junod a toujours vécu dans le feu de l'action et dans le don de lui-même pour son prochain. Lorsque j'étais petit, ma mère a du m'expliquer que ses absences étaient inévitables, que je devais le partager avec tous ceux pour qui il oeuvrait. Ce n'était pas facile, pour elle non plus.

A cinq ans, en 1950, je passais l'hiver à Crans-sur-Sierre, me remettant d'un problème de santé. Un couple d'anglais me voit jouer seul dans la neige devant le chalet, ma mère étant à l'intérieur.

"Bonjour, petit garçon, que fais-tu là dans la neige?"

"Je construis un igloo, mais je pense au 100'000 morts d'Hiroshima."

Abasourdis, ils sonnent à la porte pour demander qui est cet enfant.

Dès que nous sommes installés à Jussy, en 1953, j'ai eu l'impression de profiter beaucoup plus de mon père. Il adorait jardiner et m'enseignait patiemment à distinguer et arracher les mauvaises herbes, à semer des radis, à découvrir les oiseaux - il sifflait à merveille et imitait les merles, qui venaient lui manger dans la main. La nature le fascinait et il profitait de la campagne, bien que ses efforts agricoles n'aient pas toujours été réussis: je me souviens d'un tonneau de mirabelles installé au garage et malencontreusement fermé avec un bouchon qui a explosé en pleine nuit, couvrant tout le garage d'une purée puante jaune-verte en fermentation...

Son travail le passionnait; il était à la fois rapide, méticuleux et infatigable. Ses journées commençaient tôt à l'hôpital, et il me déposait à l'école, déserte sauf pour les nettoyeurs, à sept heures moins le quart. Le soir, j'attendais impatiemment son retour à la maison, parfois retardé par des 'séances du Comité'. Il s'asseillait au piano et se détendait en jouant une heure ou deux - Chopin, Schumann, et Bach, toujours Bach. Le salon résonnait, ensuite, de son rire et de ceux des invités qui défilaient sans cesse. Son costume avait toujours une odeur d'hôpital et de Gauloises. Il aimait toutes les dernières inventions et nous avons eu une des premières télévisions du canton. Un voyage avec lui impliquait forcément une halte culturelle quelque part, pour visiter une église romane ou un bon restaurant. Il n'a jamais perdu cet appétit de beauté, de nouveauté, cette curiosité pour le monde qui l'entourait.

Une qualité que j'appéciais tout spécialement, chez mon père, c'était sa patience d'écoute et son extraordinaire disponibilité - qui sont d'ailleurs caractéristiques d'un bon médecin. Il était toujours attentif et prêt à donner un avis objectif, s'il était consulté, ce qui lui valait d'avoir des amis partout et de tous les horizons. Il avait deux bêtes noires: l'injustice et le fanatisme, disant que la première était souvent le resultat de la seconde.

Pour mon quatorzième anniversaire, mon père m'a invité à déjeuner, entre hommes, au Restaurant 'Le Globe'. Je me souviens encore aujourd'hui de la nappe blanche sur-amidonnée, des lourds services en argent plaqué et des quenelles de brochet sauce Nantua. Surtout du privilège d'être seul avec lui, de l'avoir tout pour moi. On a parlé de mes études, de mes intérêts pour l'avenir, de son travail. Pour l'anniversaire suivant, il n'était plus là.

Son livre, le Troisième Combattant, est dédié à la mémoire de son père. Ces quelques pages, je les offre à la mémoire du mien:

Benoît Junod

Brève bibliographie

Black, Maggie, The Children and the Nations; the story of UNICEF. Unicef ed. 1986, 506pp. (Chap. II, pp 56-59 en particulier)

Courvoisier, Raymond, Ceux qui ne devaient pas mourir, Laffont ed. 1978 (Collection Vécu)

Durand, André, De Sarajevo à Hiroshima, histoire du Comité International de la Croix-Rouge, Inst. Henry-Dunant, ed., 1978

Hansen, Perry. O., Jr, UNICEF in China, 1947-1951, msdact. 1984, 125pp. Archives Unicef ss cote cf-hst-073-unicef-in-#841FB

Junod, Marcel, Le Troisième Combattant, Payot ed. 1947, etc.

Marqués, Pierre, La Croix-Rouge pendant la Guerre d'Espagne (1936-1939) Les missionnaires de l'humanitaire, L'Harmattan, ed. 2000

Ohsako, Y, Valiant without arms; the Life and Personality of Dr. Marcel Junod, Tokyo 1979, 209 pp.

Notes

[1] Le père de Richard Samuel, Henri Junod (1825-1882) était pasteur à la Collégiale de Neuchâtel (Marie-Adèle Dubied, 1833-1907).  Leurs autres enfants étaient:  Ruth Adèle (1858-1901, (Paul Berthoud, pasteur, missionnaire en Afrique du Sud); Rose Henriette Elizabeth (1861-1940, Diaconesse à Strasbourg puis directrice de l'Hôpital Pourtalès à Neuchâtel); Rose Marie (1862-1938, (Clement Heaton, artiste, maître verrier); Henri Alexandre (1863-1934, célèbre ethnologue, pasteur et missionnaire au Transvaal, auteur du premier dictionnaire de la langue Tsonga; (1. Emilie Biolley, 2. Sophie Kern); Charles Daniel "Cinebref" (1865-1941), pasteur, Président du Comité de la Fédération Internationale de la Croix-Bleue 1929-1941, (Marguerite Robert-Tissot).

[2] Recueil généalogique suisse, Première série (Genève), Tome 2, pp. 49 et ss.  Ayant découvert la parthénogenèse et effectué des recherches qui restent classiques sur la transmission de connaissances dans les vers plats, Charles Bonnet (1721-1786), devenu aveugle par abus du microscope, dicta à son secrétaire deux volumes remarquables de palingénésie philosophique. Lien wikipédia

[3] Par ordre d'aînesse: Gabrielle (1899-1992, (Philippe Hahn), Pierre (1901-1973, (Françoise Burgy), Samuel (1901-1980, (Marie Hélène Rouvé), Madeleine "Mado", 1903-1990, (Dr Maurice Cord), Marie Louise ("Milou", 1907-1993, (Victor Ceresole), Claire Annette "Clairette ", 1908-1993, (Georges James Favre-Bulle)

[4] Voir note en bas de page 1.  Son fils, Henri-Philippe (1897-1987), a aussi effectué des missions pour le CICR.

[5] En 1944, n'ayant plus pratiqué la médecine depuis 1935, il représentera une thèse intitulée : "Arthropathies psoriasiques et Traumatismes en médecine des accidents."

[6] St. Bartholomew's Hospital Journal, Sept. 1936 pp. 223-225.  L'auteur est le Capitaine R. Townshend-Stevens.

[7] L'anglais de Junod fera des progrès. Mais en 1952, la Présidente de la Croix-Rouge britannique, Angela Comtesse de Limerick, lui fit la remarque qu'il avait des tournures de phrases peu usuelles.  Il lui avouait avoir appris l'anglais en lisant Perry Mason, Earl Stanley Gardner et Agatha Christie...

[8] 1893-1968, Président du CICR 1955-1964

[9] Discours aux obsèques du Dr Marcel Junod,20 Juin 1961 (Archives CICR)

[10] Koestler parle de Marcel Junod dans son Spanish Testament, dans Darkness at Noon, et dansDialogue with Death.

[11] Grande personnalité de la Croix-Rouge et plus tard membre du Comité du CICR

[12] L'Union Soviétique était partie à la Convention de 1929 sur les blessés et malades depuis 1931, mais avait ni signé ni ratifié celle sur les prisonniers de guerre.

[13] Lettre dans les archives BJ

[14] Ce ne sera que un an plus tard (les 10-13 septembre 1946) lors de la parution d'un grand article par John Hersey dans le New York Herald Tribune (repris du magazine New Yorker), que la population américaine prendra vraiment connaissance de l'étendue de l'horreur du bombardement nucléaire d'Hiroshima et de Nagasaki.

[15] Câble de Bilfinger du 30.08.45 (Archives CICR)

[16] Selon certaines sources douze, selon d'autres, quinze. Il est intéressant de noter que quelques jours plus tard, les Américains envoient aussi des secours à Nagasaki.  Junod était encore à Hiroshima à ce moment-là.

[17] M. J., Rapport du 09.11.45, (Archives CICR)

[18] C'était le premier médecin européen à se rendre sur les lieux.

[19] Le Dr Matsunaga, qui a accompagné Junod pendant tout son séjour à Hiroshima, l'a vu prendre de copieuses notes, en plus des annotations dans son agenda.  Malheureusement, elles n'ont pour l'instant pas été retrouvées.

[20] Très anglophile, Georgette ("Jo") Junod décide d'aller accoucher à Londres où vit une de ses belles-soeurs et une amie très proche, Norah Hartley.  Elle fait le voyage en train de Genève à Londres avec son beau-frère Victor Ceresole, et ils arrivent le 20 août 1945.  Ils devaient faire un couple curieux: elle mesurait 1m 54, et lui 2m 09.  Dans le compartiment, un voyageur demande : "Où allez-vous?" Elle répond : "A  Londres, on travaille dans un cirque...".

[21] Voir documents aux Archives fédérales, Berne.

[22] Juriste, diplomate, homme d'état, Max Huber (1874 - 1960) a été président du CICR de 1928 à 1944.  Tant Huber que son successeur Carl Jacob Burckhardt (1891-1974, président CICR 1944-1948) ont beaucoup apprécié le dynamisme et l'honnêteté de Junod.

[23] (1894-1965), fondateur et premier Directeur exécutif de l'UNICEF (Fonds d'urgence des Nations Unies pour les enfants)

[24] Les informations qui suivent sont tirées des rapports de MJ sur son activité en Chine, recoupés avec deux ouvrages fort informatifs de Black et Hanson (voir bibliographie).  Un survol se trouve aussi dans le texte d'une conférence donnée par Marcel Junod à la Société anglo-suisse de Londres le 3 avril 1952.

[25] Par exemple, 500 superbes équipements de radiographie avaient été importés des USA par l'UNRRA à la demande du Gouvernement chinois, dont 480 pourrissaient dans un entrepôt car il n'y avait que 20 médecins chinois qui savaient utiliser ce matériel.

[26] Il se trouve aux archives UNICEF sous la cote CF/RAD/USAA/DB01/1997-05727

[27] Mme Junod et son fils quitteront Shanghai en bateau, au moment où les troupes révolutionnaires prenaient la ville; leur bateau à réussi à sortir du port, alors que celui qui suivait à été coulé par un obus.

[28] En décembre 1956, il fait venir Hewer à Genève où ils mettent au point, avec un petit groupe d'experts, une machine à narcose portable et légère qui puisse être parachutée aux postes de secours dans des situations de conflit.  Un prototype sera fabriqué par Carba. S. A., mais ne sera pas commercialisé.

[29] Fellow of the Faculty of Anaesthesia of the Royal College of Surgeons.

[30] Il la recevra entre Pie XII et Eleonor Roosevelt.

[31] ...au bout de deux ans de tergiversations.  Junod est nommé le 9 octobre 1954.

[32] Vacances à Cadaqués 1954-1956, puis à Port-Lligat (1958-1960), où il rencontrera Dal’ à de nombreuses reprises.

[33] Marcel Junod aurait du le présider. Heureusement, l'évènement s'est parfaitement déroulé grâce à l'efficacité du Dr Bronner et de l'appui du Dr Pierre Koenig.

[34] (1907-1972). Les Deonna vivaient en été aux Beillans.

[35] Raconté plus tard par Melchior Borsinger.

[36] Par le hasard des chronologies, il est enterré à côté d'un autre délégué du CICR, Georges Olivet, tué au Congo en 1960.

[37] Cette décoration lui a été attribuée pour son travail dans le cadre du rapatriement des Coréens et de la libération de pêcheurs japonais qui étaient détenus en Corée.