Henri Alexandre Junod

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Né le 17 mai 1863 à St Martin (Neuchâtel), fils du pasteur Henri Junod (1825 - 1882) et de Marie Adèle née Dubied (1833 - 1907), Henri Alexandre est le 4ème (premier fils) de six enfants.

Il épouse le 18 mars 1889 à Couvet Emilie Julie née Biolley (d'où 4 enfants). A la suite du décès d'Emilie le 10.7.1901 à Shilouvane, Transvaal, Afrique du Sud, Henri Alexandre se remarie le 15 mars 1904 à Zürich Sophie Hélène née Kern (d'où 3 enfants). Il décède à Genève le 22 avril 1934.

De l'Europe à l'Afrique, un missionnaire ethnographe
© Copyright 2004 - Serge Reubi & Revue Historique Neuchâteloise

La carte Ba-Ronga de H.-A. Junod ainsi que le texte ci-dessous sont reproduits avec l'aimable autorisation de l'auteur Monsieur Serge Reubi ainsi que de la Revue Historique NeuchâteloiseNo 4 - 2004, extraits de l'excellent article "Aider l'Afrique et Servir la science: Henri Alexandre Junod, Missionnaire et ethnographe (1863-1934)"

Henri-Alexandre Junod naît le 17 mai 1863 au sein d'une famille de pasteurs neuchâtelois. Malgré un intérêt prononcé pour les sciences naturelles pendant sa scolarité, il se décide à perpétuer la tradition familiale et entre en faculté de théologie en 1881. Au terme de ses études, au cours desquelles il passe un semestre à Bâle et un autre à Berlin, il est admis au sein de la Mission Suisse romande en 1886.

En 1887, celle-ci l'envoie à Edimbourg pour y recevoir une formation de base en médecine et en chirurgie. Ce séjour est sans doute capital dans la formation du jeune Junod, car il ne s'y familiarise pas avec la seule médecine. Il semble y avoir rencontré Henry Callaway, un ancien évêque du Natal, qui est alors célèbre pour ses recherches sur les Zoulous et dont le parcours scientifique éclaire en quelque sorte celui de Junod. Callaway a commencé par travailler sur la langue zouloue, dans l'intention de traduire la Bible dans l'idiome local, avant que son intérêt ne perde sa seule dimension prosélyte.

C'est alors que Callaway se consacre à l'étude des Zoulous dans une perspective anthropologique. Pour Callaway en effet, la maîtrise de la langue est nécessaire pour bien comprendre les indigènes, de manière à saisir correctement ce qu'ils disent (FRIESEN: 38): d'un but en soi, l'analyse linguistique devient un moyen de comprendre les indigènes. Plus généralement, l'intérêt de Callaway passe de la langue à la littérature orale zouloue - il publie un livre à ce propos en 1866 - et, en fin de compte, à l'étude de problèmes plus strictement anthropologiques. S'il est vrai qu'une rencontre des deux hommes n'est pas formellement établie, l'influence du premier sur le second est indéniable.

A la suite de son séjour en Ecosse, Junod s'installe pendant une année à Neuchâtel avant d'être envoyé dans les possessions portugaises du sud-est de l'Afrique, à Lourenço Marques (actuel Mozambique), où la Mission Suisse romande s'est établie.

Sur place, son travail d'évangélisation et son enseignement à la Mission se révèlent être des occasions idéales pour observer et pour étudier le pays Ba-Ronga et ses habitants. En bon missionnaire et à des fins de prosélytisme, c'est à leur langue qu'il s'intéresse en premier lieu. Son objectif est d'abord, comme Callaway, de traduire la Bible. Ce travail de traduction, ainsi que son contact avec les élèves de la Mission lui permettent finalement de maîtriser rapidement la langue, de manière à pouvoir publier, en 1896 une grammaire ba-ronga. Mais, comme Callaway, son étude de la langue lui permet d'élargir son intérêt aux chants et contes, qu'il recueille à l'école, puis à une monographie des Ba-Ronga.

A côté de cette influence, les travaux de Junod sont également le fruit d'une conversation avec Lord Bryce en 1895, qu'il rapporte dans l'introduction de The Life of a South African Tribe. Ce politicien britannique, après avoir longuement voyagé à travers l'Empire, a pris conscience de la pauvreté des connaissances occidentales sur les indigènes en général et du sud de l'Afrique en particulier. Il incite alors les Européens qui habitent sur place à entreprendre l'étude scientifique de leur vie primitive (…)

(…) En premier lieu, c'est donc le souci d'enregistrer le mode de vie primitif des Ba-Ronga pour en garder une trace après que leurs traditions auront entièrement disparu et été remplacées par «le grand niveau de notre civilisation» (JUNOD 1898: 8) qui anime le missionnaire. Mais Junod, dans la tradition évolutionniste, fait également de la connaissance sur les Ba-Ronga (de son époque) un moyen de comprendre la préhistoire européenne:

Ces peuples primitifs sont probablement arrivés à un degré de développement par lequel nous-mêmes nous avons passé autrefois. J'imagine que les Lacustres de l'Age de la pierre n'étaient guère supérieurs aux peuples bantou. A certains égards ls leur étaient même inférieurs. Il semble donc, quand nous nous penchons vers ces primitifs pour déchiffrer leur conception du monde et de la vie, que notre histoire ancienne, à nous, surgisse devant nos yeux. Certains problèmes de nos âmes civilisées, filles agrandies de ces âmes primitives, s'expliquent. Nous prenons mieux conscience de nous-mêmes et des mystères de notre évolution.» (JUNOD 1898: 8).

Junod amasse ainsi des informations sur les Ba-Ronga tout en continuant son travail à la Mission jusqu'à son retour en Suisse l'année suivante, en 1896.

C'est à Neuchâtel qu'il poursuit la récolte des fruits de son premier séjour. Comme je l'ai déjà évoqué, en 1897, dans la lignée du travail de Callaway, il fait usage de l'importante quantité de récits indigènes qu'il a consignée pour rédiger un recueil de chants et de contes ba-ronga et, en 1898, il publie une monographie exhaustive sur les Ba-Ronga. Elle constitue la troisième et dernière partie de sa trilogie consacrée à cette population, trilogie qu'il a commencée avec la grammaire et poursuivie avec l'analyse des chants.

Ce travail, qui est sa première recherche ethnographique d'envergure et à laquelle il doit un début de célébrité parmi les savants de la métropole, scelle en même temps l'aboutissement de ses études en la matière. Désormais, il se limitera à augmenter, à compléter et à préciser ses données, mais ne changera plus fondamentalement son plan de recherche. Certes, il modifie ses interrogations pour que ses données répondent mieux à l'état de la recherche, mais, dans l'ensemble, tout est là.

Cette soudaine célébrité et la reconnaissance dont il jouit ne modifient cependant en rien ses priorités. L'ethnographie a peut-être supplanté l'entomologie, mais il ne s'agit toujours que d'un «passe-temps», comme il le dit, et il reste avant tout missionnaire. Ainsi, il n'est pas tout à fait étonnant que Junod retourne en Afrique l'année suivante dès que la Mission le nomme directeur d'une école à Shilouvane, dans l'actuel Mozambique.

Sur place néanmoins, il continue à mêler son travail missionnaire et la récolte de données ethnographiques jusqu'à son retour en Suisse en 1909. C'est alors, ainsi qu'il l'avait fait après son premier voyage, qu'il élabore ses données de terrain et travaille à The Life of a South African Tribe, qui constitue en réalité une seconde édition anglaise largement revue et complétée de ses Ba-Ronga. Ce travail, qui est considéré comme son «grand oeuvre», fut publié en 1911 et 1912 et eut un succès retentissant qui lui valut d'être élu membre d'honneur du prestigieux Royal Anthropological Institute.

Junod vit alors le sommet de sa gloire ethnographique. C'est en effet au même moment qu'il occupe ses seules fonctions officielles dans la discipline à Neuchâtel. En 1910, la Faculté des lettres le sollicite pour un cours d'ethnographie qu'il donne en 1911 et qui est financé par la Société neuchâteloise de géographie; l'année suivante, il est nommé à la commission du Musée ethnographique. Toutefois, un nouveau départ pour l'Afrique avec la Mission le contraint à démissionner dès 1913. Il restera à Shilouvane jusqu'en 1920.

Comme lors de ses précédents voyages, il profite de son activité missionnaire pour récolter de nouvelles informations, qu'il destine à une nouvelle édition de The Life. Ainsi qu'il en a désormais l'habitude, c'est à son retour en Suisse qu'il analyse ses données tout en poursuivant son travail pour la Mission. De fait, les années 1920 seront, pour Junod, essentiellement consacrées à la Mission et à son travail à la Société des Nations pour le compte du Bureau international pour la défense des indigènes (H.-P. JUNOD 1936: 63-70).

Néanmoins, il n'abandonne pas entièrement son activité scientifique: d'abord, il écrit quelques articles dans les revues spécialisées auxquelles il collabore (Man, Folklore, Anthropos, Africa, Bulletin de la Société neuchâteloise de géographie). Il est ainsi en contact étroit avec les principaux acteurs de la discipline comme Lucien Lévy-Bruhi et est pris à partie dans des controverses scientifiques (STOCKING: 335-7). Par ailleurs, il donne divers cours aux Universités de Lausanne, de Genève et de Londres, dont une partie porte sur son étude des Ba-Ronga.

Il publie enfin une seconde édition de The Life, largement augmentée par la documentation assemblée entre 1913 et 1920. Mais c'est là son dernier gros travail. Par la suite, sa santé vacillante ne lui permettra plus de produire que quelques rares travaux jusqu'à son décès à Genève en 1934.

Sa vie a ainsi été un constant balancement, à la fois géographique, entre son travail de terrain en Afrique et la rédaction de travaux en Suisse, et professionnel, entre sa vie de missionnaire et d'ethnographe. S'il est évident que sa patrie a été l'Afrique - il demanda à être enterré à Rikatla - il semble clair qu'il était également davantage missionnaire que savant.

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Carte Ba-Ronga de H.-A. Junod
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